Récit d’une bande de cinglés en touring sur l’île d’Hokkaido
Oui, le Japon fait rêver. Des éléments aussi anodins qu’une énième machine distributrice d’un rouge vif ou qu’un petit resto traditionnel de ramen attirent, à eux seuls, des millions à traverser le globe entier pour fouler le sol nippon.
Mais pas nous. Du moins, pas en premier lieu.
On est partis pour un rêve précis : goûter aux doux flocons du mythique Japow*.
Et si l’idée de l’expérimenter t’a déjà traversé l’esprit, reste avec moi. Voici les grandes lignes d’une journée typique de touring sur Hokkaido*. Spoiler alert : ouvre Google Flights, tu risques d’en avoir besoin d’ici dix minutes.
Les mots marqués d’un * sont définis dans le lexique à la fin.
Planification de la veille
Projetons-nous dans un campeur cubique japonais au nord d’Hokkaido, dans le stationnement d’un michi-no-eki*. Tous le ventre plein d’un repas ô combien satisfaisant et d’une séance de onsen* réparatrice. Même si la tentation de s’écraser avec nos gros hoodies est bien présente, il nous reste toujours une étape primordiale avant de call it a day: la planification de notre journée de touring du lendemain.
Il faut comprendre que nous allions nous retrouver sans balises, ni indications, juste le vrai backcountry. C'est dans ce contexte que la préparation y prend tout son sens : choisir la montagne la plus inspirante, imaginer l’itinéraire et prévoir tout pour être autosuffisants en altitude. La veille, dans ce petit habitacle chauffé, on ne faisait pas que planifier : on se projetait déjà dans l’aventure.
Cette planification s’appuyait sur plusieurs outils numériques. Je t’ai laissé un guide des 4 outils (Hokkaido Wilds, Windy, Japan Avalanche Network et OnX Backcountry) à la fin.
Not gonna lie, tu serais fou de t’en passer.
Le choix final de la montagne et du segment dépendait de plusieurs facteurs, notamment notre intention d’aventure. Basically, il fallait se demander si on cherchait un défi physique comme l'ascension importante du Mont Yotei, ou plutôt un segment plus court à lapper pour profiter au max de la grosse poudreuse et des pillows comme à Kiroro. En toute transparence, la 2e option l’emportait souvent, question de tirer profit de cette neige unique au monde. Parce que oui, il y a des hauts sommets intéressants, mais l’altitude vient généralement avec le compromis d’une neige tapée, ventée et donc, moins intéressante.
By the way, ces deux montagnes se trouvent dans la région de Niseko. Cette région, le Whistler japonais est extraordinaire, mais ce serait une erreur de s’y limiter ! À l’instar de l’ouest canadien, je recommanderais définitivement de sortir des zones les plus touristiques, afin de goûter au meilleur de ce que la place a à offrir. Autour d’Asahikawa, plusieurs régions au nord de Sapporo sont absolument légendaires et à ne pas manquer.
En moyenne, environ une bonne heure de recherche, d’astinage et de délibération suffisait avant d’être confiant sur la montagne, le flanc et la route qui seront empruntés. Yé 21h30, temps d’aller au dodo!
Set-up matinal
Dormir en campeur, c’est rester patient au moment du réveil. Tout le monde doit attendre son tour avant de commencer sa petite opération matinale. Heureux détenteur du divan-lit-table, j’étais le premier à me lever, puis commencer mon déjeuner. Ce dernier qui, selon mes compagnons, était trop souvent composé de sardines et de simili-crabe.
Après le p’tit-dej venaient les étapes suivantes en ordre, ou pas, dépendamment que tu sois passenger princess ou conducteur :
- Préparer l’équipement (autre checklist offerte plus bas, vraiment je t’ai gâté!)
- Remplir le sac de bouffe
- Setter nos peaux d’ascension
- Allumer et tester nos beacons
- Puis ça PART!
La grosse poudreuse: montée & descente
Si tu veux profiter des meilleurs turns, faut faire travailler tes jambons ! L’abondance de neige étant évidemment très ressentie à l'ascension. C’est arrivé assez souvent qu’aucune trail n’était visible, parfois recouverte par les bordées des journées précédentes. Il était donc nécessaire de définir le chemin par nous-mêmes avec nos outils de navigation. Sans exagération, celui qui ouvrait la skyn track avait facilement de la neige à la mi-cuisse à chaque enjambée.
Au moment de la transition de la montée vers la descente, il fallait rester sur notre petit îlot tapé, sans quoi on pouvait littéralement s’enfoncer jusqu’à la poitrine ! En même temps, pas étonnant, en janvier au nord d’Hokkaido il peut y avoir jusqu’à 4 mètres de poudreuses accumulées.
Et là, on y est. Des centaines d’heures de planification, de déplacement en avion-bus-shinkansen*-campeur, d’ajustement d’équipement et d'ascension. Tout ça, pour ce moment-là.
Le silence lourd de la montagne, le souffle qui se condense en nuages épais, les cliquetis des fixations se font entendre et… la pente s’ouvre. La gravité reprend ses droits. Il faut cumuler un peu de vitesse pour enfin avoir le premier turn…
WOW. DAMN. Chaque virage est un rush d’adrénaline droit au coeur ! Un nuage blanc au-dessus de ma tête, une sensation de flottement unique au monde. Rien de comparable.
Et c’est là que tu comprends ce que veut dire earn your turns. Tout ce que tu as investi se condense en quelques secondes de pure magie. Un feeling de satisfaction inégalable.
Après-ski
Contre-intuitivement, le retour par la skin-track initiale était souvent plus difficile qu'envisagé. Les nombreux valons nous rendaient le retour au campeur assez fastidieux… de quoi lâcher 1 ou 2 mots d’église. En général, on souhaitait faire la descente du sommet au plus tard à 15h, pour prévoir un retour à la clarté.
De retour au campeur, ça ne tardait pas avant d’entendre le premier psshhht. Le son du bonheur de ce doux liquide houblonné bientôt dans nos trachées, KANPAI TABAR**K! Tellement satisfaisant ; une bière glacée après 1 000 mètres de dénivelé dans la poudreuse japonaise.
Le combo parfait ; retrouver accès à la chaleur, la bouffe, la Sapporo ou Asahi, et notre infamous playlist Spotify!
Cette pause entamait ce que j’aimais appeler notre « premier souper », dans mon cas un copy paste de mon déjeuner. Chose certaine c’est que du haut de mes 145 livres, j’aurais été capable de manger un thon en entier à 16h !
Après un petit déplacement en campeur, le cycle repartait : onsen, p’tit resto local, détour obligé au konbini* pour les onigiris* du lendemain, planification, puis dodo-campeur. Et on recommence. Un peu fou, oui, mais le processus en valait chaque goutte de sueur. Au bout du compte, ces turns n’ont pas de prix.
Alors, qu’est-ce que t’attends? Texte tes 2-3 meilleurs potes et commence à planifier ton propre Japow 2026 ! Le trip commence bien avant d’avoir touché la neige.
Checklists de touring à Hokkaido
1. Outils de planification numérique
Hokkaido Wilds: Legit la ressource incontournable pour planifier une sortie en backcountry au Japon. Tu peux y repérer rapidement les montagnes intéressantes dans toutes les principales régions de l’île et consulter leurs fiches techniques détaillées: accès, dénivelé, itinéraire, points de repère et risques spécifiques. Tu y trouves des fichiers GPX téléchargeables, super pratiques à importer dans une application de navigation pour suivre ton tracé sur le terrain. Bref, un must en touring sur Hokkaido.
Windy: C’est l’application météo interactive qui affiche en temps réel la température, les précipitations, le vent et l’accumulation de neige sur des cartes animées. Bref, un Météo Média sur les stéroïdes. Tu l’utilises surtout avant et pendant la sortie (s’il y a du réseau) pour anticiper les chutes de neige, repérer les variations de température et surveiller les épisodes de vent. Les infos essentielles pour juger la stabilité du manteau neigeux et adapter ton plan de sortie.
Japan Avalanche Network (JAN): Plateforme officielle dédiée aux conditions avalancheuses au Japon (utilise l’outil de traduction sur Google pour le consulter facilement ;). Tu y trouves les bulletins d’avalanche régionaux, mis à jour régulièrement, avec le niveau de danger (1 à 5), les problèmes dominants (plaques, neige humide, etc.) et des observations terrain. En consultant le site avant ta sortie, tu peux mieux évaluer le risque et décider si tu attaques le segment de montagne… ou si tu la joues safe et en choisis un autre!
OnX Backcountry: C’est une application mobile de cartographie conçue pour les sports de plein air. Tu peux y planifier ton itinéraire, visualiser les pentes avalancheuses grâce aux couches de terrain et l’utiliser même hors réseau. En téléchargeant à l’avance les cartes et les fichiers GPX récupérés sur Hokkaido Wilds, tu pourras suivre ton tracé directement sur le terrain sans connexion (vraiment vraiment pratique quand t’es perdu). C’est ton meilleur allié pour garder le cap et ajuster ta progression en fonction des conditions réelles.
2. Équipement à préparer
Le trio obligatoire (avalanche safety kit)
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Beacon : Détecteur de victimes d’avalanche (DVA). Tu le portes sous ton manteau, près du corps. Il envoie un signal pour être retrouvé ou capte celui des autres. Avant chaque départ, teste-le avec ton groupe : on allume, on vérifie que tous émettent, puis on repasse en mode émission.
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Sonde : Tige télescopique qui se déploie rapidement pour localiser une victime ensevelie. Utilisée après avoir capté un signal avec le beacon, elle permet de confirmer la position exacte avant de commencer à pelleter.
- Pelle : Robuste et légère, conçue pour creuser efficacement dans la neige compacte. C’est elle qui fait la différence dans le temps de dégagement d’une victime. Elle doit toujours dans ton sac, jamais accrochée à l’extérieur.
Important: un cours reconnu en avalanche (ex. CSA-1) est indispensable pour savoir utiliser ces outils. Quand un accident survient, tu n’as pas le temps d’improviser: chaque seconde compte !
Et le reste
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Téléphone et batterie externe : Ton téléphone reste ton outil principal de communication et de navigation, mais l’autonomie chute vite dans le froid, surtout les vieux iPhone lol. Il est donc important de prévoir une charge externe.
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Casque : Je peux pas croire qu’on a besoin de le répéter en 2025 mais tsé, les traumatisme craniens, ça arrive pas qu’aux autres. Porte ton casque.
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Vêtements techniques : Multicouches adaptés aux conditions (base layer, doudoune, shell). Pense aussi à tous les éléments de rechange, comme une paire supplémentaire de mitaines.
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Hydratation et nutrition : Eau, électrolytes, barres énergétiques, et toujours un petit extra en cas de sortie plus longue que prévu. Au Japon, c’est l’occasion idéale pour manger du poisson cru en montagne!
- Trousse de premiers soins : Compresses, pansements, bandage, anti-inflammatoires, ouverture de survie, sifflet, couteau multifonctions, lampe frontale.
Petit lexique japonais
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Hokkaido (北海道) : île la plus au nord du Japon, réputée pour ses hivers interminables et sa quantité de neige phénoménale.
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Japow : contraction de Japan + Powder, expression occidentale donnée à la neige poudreuse légendaire du Japon.
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Kanpai (乾杯) : cheers japonais.
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Konbini (コンビニ) : dépanneur ouvert 24/7 (notamment le fameux 7-Eleven) où l’on trouve de tout, du fameux whisky japonais aux repas prêts-à-manger.
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Michi-no-eki (道の駅) : aires de repos routières japonaises. Parfaites pour stationner un campeur, manger, boire et faire dodo.
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Onigiri (おにぎり) : boules de riz garnies de pouesson (saumon, thon mayo, umeboshi) emballées dans une feuille d’algue, lowkey la collation par excellence pour raviver les jambons fatigués.
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Onsen (温泉) : bains chauds traditionnels, alimentés par des sources thermales volcaniques. On s’y baigne tout nu, on jase et, surtout, on n’est pas raqué le lendemain.
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Shinkansen (新幹線) : train à grande vitesse japonais, symbole de rapidité et de ponctualité. Sans blague, les chauffeurs sortiront s’excuser si le train arrive ne serait-ce que quelques secondes en retard!
Rédacteur: Jacob Lajoie
Photographe: Laurent Auchu